• x Juliette x




    (...) Sur le coup de vingt-trois heures, dans un Night Shop où mes lèvres desséchées avaient guidé mes pas, et tandis que j'attendais impatiemment dans la file de payer une misérable canette de limonade, la silhouette cambrée d'une gamine d'une vingtaine d'années qui s'appuyait avec nonchalance contre le comptoir bondé réveilla d'un seul coup mes sens que j'avais pourtant pris soin d'émousser depuis quelques jours.


     



    De face, la ressemblance me semblait moins flagrante, mais, comme Juliette, elle portait au poignet une fine chaînette dorée attachant un prénom écrit en lettres cursives. Ni moi, ni la police n'avions retrouvé le sien aux alentours immédiats du lieu où s'était déroulé le drame.



     



    Je lui emboitai le pas en demeurant à distance respectable. Elle alluma une cigarette et je tentai vainement d'en renifler la fumée dans le vent. Ses talons, plats et ferrés à l'arrière, cliquetaient nerveusement sur le pavé, le bas de sa robe légère battait à mi-cuisses sous sa veste courte et je me régalais à la vue du slip qui transparaissait délicatement sur le tissu.



     



    Elle marchait à si belle allure que je fus forcé d'adapter mon rythme au sien. Aussi, cela lui devint bientôt manifeste que je la pistais et, d'ailleurs, après un regard fugace et inquiet quant à mes intentions, elle accéléra le pas davantage. Ses enjambées tourmentées faisaient ridiculement rebondir sur sa hanche un sac auquel elle semblait s'accrocher comme à une trousse de secours. J'étais certain qu'elle s'interdisait, non sans difficulté, de paniquer et se mettre subitement à courir.



     



    Je me demandais si, l'an dernier, Juliette avait éprouvé autant qu'elle la sourde terreur qui escaladait à présent l'échine de cette fille quand, soudés à quelques mètres l'un de l'autre, nous sommes enfin arrivés au bas d'un immeuble dans lequel elle s'engloutit en jetant derrière elle un ultime coup d'œil de soulagement.



     



    Je suis entré précipitamment à sa suite. Elle fouillait hystériquement son sac en quête d'une clef salvatrice. « Vous ne devriez jamais sortir seule à une heure aussi tardive ! », lui conseillai-je à voix basse en lui posant une main paternelle sur le bras.



    Bouche bée, la jeune femme écarquilla des yeux affolés. Je lui arrachai son sac avec autorité pour y dénicher moi-même les clefs puis, piloté par une excellente intuition, je lui ouvris la porte au tout premier essai, la poussant ensuite vers l'intérieur. Elle fut agitée de tressaillements irrésistibles et sa chair toute entière, frissonnant en diable, me parut soumise et consentante à tout outrage que je lui imposerais, pourvu qu'elle y sauvât tout au moins sa peau.



     



    L'an dernier, me disais-je avec certitude en guidant de force la jeune fille par le bras en direction de l'ascenseur, Juliette avait connu un sentiment d'épouvante fort similaire à celui dont je vivais à présent, par procuration de cette fille effarouchée, la lente et sournoise progression.



     



    Soudain, je la lâchai, comme j'aurais tant aimé qu'on eût lâché Juliette, et lui rendis son sac qu'elle accepta maladroitement entre des mains tremblantes.



     



    En guise d'adieu, je m'emparai avec douceur de son poignet pour y lire le prénom attaché par la chaînette, avant de lui ébaucher un geste tendre de l'index sur l'arête du nez. (...)



     



    Extrait de « Moeur's frisson », roman.


  • Commentaires

    1
    Lundi 23 Octobre 2006 à 14:05
    Quel gentleman...
    ... alors comme çà on fouille le sac des jeunes filels pour ouvrir leur porte... encore heureux qu'il n'y ait pas le pandemonium qu'il y a dans le mien... rires... Par contre, le titre du roman est magnifiquement bien choisi... Je vous embrasse sur le pas de ma porte chez Rédacteur...
    2
    Lundi 23 Octobre 2006 à 14:18
    Chère Toula,
    l'utilisation de la première personne du singulier n'est qu'un procédé d'écriture... Loin de moi d'avoir vécu tout ce que j'ai écrit !
    3
    Jeudi 7 Décembre 2006 à 21:21
    rebonjours
    encore merci pour ton gentil mot sur mon blog,depuis,pas mal de changement! tu peux revenir y faire un tour,j'adore ce que tu fais en glaçage,superbe,au fait,ma femme est peintre,pas celle de l'histoire du blog kiss
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :